Cette intervention s’est concentrée sur la description du système mis en œuvre par le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG), son dévoiement par les successions de lois rectificatives et les garde-fous qui se dessinent via la jurisprudence de la CEDH.
A l’origine, le FNAEG est un fichier d’identification et non d’antécédent.
Il se distingue, théoriquement, du STIC ou du JUDEX, dès lors que sa vocation est de permettre de répondre à la question suivante : l’empreinte génétique d’une personne correspond-elle aux traces relevées sur le lieu d’une infraction ?
A sa création, l’objectif était de donner un cadre juridique au recours à l’ADN dans le cadre des enquêtes pénales. L’usage de l’ADN préexistait au FNAEG.
Institué par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, le FNAEG a pourtant induit son développement d’une double manière.
D’abord, l’assiette matérielle du fichage génétique a été élargie : au départ limité aux auteurs d’infractions sexuelles, le FNAEG concerne aujourd’hui la quasi-totalité des infractions d’atteinte aux personnes et aux biens.
Plusieurs lois successives, dont la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003, ont porté à 137 la liste des infractions impliquant le prélèvement ADN.
Ensuite, sa finalité a évolué : de simple outil de consignation et de conservation pour une enquête donnée, il devient incidemment un outil utile à d’autres enquêtes, à d’autres faits.
Cette vocation était d’ailleurs potentiellement contenue dans la loi qui l’a crée : la loi Guigou du 17 juin 1998 est précisément venue formaliser et encadrer juridiquement « l’exploit » que constituait l’arrestation de Guy Georges, quelques mois plus tôt, confondu par son ADN.
Le législateur a en réalité créé de nouvelles échelles, spatiales et temporelles, d’utilisation de l’ADN dans les enquêtes pénales, échelle qui survit au passage du temps, à l’érosion des preuves et des consciences.
Echelle où l’ADN-indiscutable (prétendument) peut, potentiellement, résoudre des affaires espacées de plusieurs dizaines d’années dans le temps et dans l’espace.
Peu à peu, le fichier d’identification est devenu un fichier d’antécédent et de prospection future.
Ce fichage généralisé sort de sa vocation première, invoquée par le législateur pour le justifier, consistant à supprimer les erreurs judiciaires.
L’infaillibilité de l’ADN était étroitement liée à la volonté de supprimer toute marge d’erreur dans la résolution d’une affaire donnée.
Aujourd’hui, cette vocation perdure, mais elle s’accompagne d’une autre vocation, beaucoup plus discutable : celle d’offrir un fichier tentaculaire qui redéfinit les notions de risque pénal et de dangerosité criminologique.
L’ADN est tout autant moyen de preuve actuel que moyen de preuve futur. Il est tout autant une réponse, qu’un questionnement permanent sur la dangerosité potentielle de celui dont l’ADN est recueilli. Le stockage de l’ADN est déconnecté de l’affaire à résoudre. L’ADN est une potentialité, une projection criminologique.
(i) les conditions de recueillement et de conservation des données biologiques
Les conditions dans lesquelles sont possibles le recueil et la conservation des échantillons d’ADN sont fixées par les dispositions des articles 706-54 et suivants et R-53-9 et suivants du Code de procédure pénale. Pour l’essentiel, et dans le cadre d’une enquête de police (flagrance, préliminaire et instruction,) un OPJ est en droit de prélever tout échantillon d’ADN d’une personne mise en cause pour l’une des infractions visées à l’article 706-55 du CPP, dénombrées à ce jour à plus de 130. Le refus de prélèvement est passible de poursuites pénales sanctionnées par, dans le cas le moins grave, un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.
La durée de conservation est de 25 ans pour les personnes non condamnées et de 40 ans pour les personnes condamnées.
Une procédure d’effacement est prévue, avec des délais très stricts, auprès du Ministère public avec des recours auprès du Juge des Libertés et de la détention et puis du Président de la Chambre de l’Instruction.
(ii) Le dévoiement du fichier
L’objet d’un tel fichier, qui est de confondre un criminel ou bien de lever tout doute à l’égard d’un innocent, semble à ce jour dévoyé. Les lois successives du 15 novembre 2001, du 18 mars 2003, du 9 mars 2004, du 12 décembre 2005, du 4 avril 2006 et du 5 mars 2007 ont étendu le champs d’application de ce fichier en ne cessant d’augmenter le nombre d’infractions prévues par ces dispositions, en étendant ce principe toute personne mise en cause, et non plus seulement condamnées, et enfin en créant un délit spécial de refus de prélèvement.
Le nombre de personnes fichées est passé de 2.100 en 2002 à 2.039.874 en 2012. 80% des personnes fichées n’ont jamais été condamnées. La possibilité de créer un lien entre un individu fiché avec sa fratrie, ses aïeux et ses descendants permet de penser que près d’1 personne sur 6 serait ainsi susceptible d’être identifiée sur le territoire.
(iii) Les limites posées à la systèmisation
Cette systématisation du fichage génétique pose inévitablement de nombreuses questions sur le plan éthique et politique notamment au regard des atteintes éventuellement à nos libertés publiques telles que le droit au respect à la vie privée, le droit de disposer de son corps et le droit à son intégrité physique.
Par un arrêt rendu le 19 mars 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation (N° pourvoi 12-81533) a jugé que ce système ne portait pas atteinte à l’exercice du droit au respect de la vie privée dès lors qu’une telle mesure n’était pas manifestement disproportionnée au but à atteindre fixé dans une société démocratique.
Cependant, il importe de surligner que la Grande Bretagne a été condamné par la Cour de Strasbourg pour violation de l’article 8 de la DEDH, au motif que l’absence de durée dans la conservation était disproportionnée et donc constitutive d’une atteinte au respect de la vie privée (CEDH - S et MARPER/ RU – 04.12.2008).
A ce jour le FNAEG n’a pas été soumis à l’appréciation de la CEDH. Cependant, dans un domaine connexe, cette dernière a récemment condamné la FRANCE considérant que la conservation des informations relatives aux empreintes digitales pendant 25 ans était assimilable à une conservation infinie (MK / France 6 18.04.2013).
Attendons désormais l’appréciation des juges de Strasbourg sur le FNAIG !